André Perrin: «Pourquoi il est scandaleux de parler de “génocide” à Gaza»

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Par André Perrin
TRIBUNE – Renvoyer dos à dos le pogrom commis par le Hamas et la riposte israélienne en la qualifiant de «génocide» est inadapté, explique l’agrégé de philosophie, qui revient sur la définition de ce terme et rappelle l’importance des pertes civiles dans les conflits du XXe siècle.
André Perrin est agrégé de philosophie et essayiste. Il a notamment publié « Postures médiatiques. Chronique de l’imposture ordinaire » (L’Artilleur, 2022).

Le 8 décembre 2023, le journal Le Monde publiait une tribune d’un maître de conférences en philosophie intitulée : « Moralement, il existe toujours une alternative à la mort en masse d’enfants et de civils ». Établissant un parallèle entre le massacre commis par le Hamas le 7 octobre et la riposte israélienne, l’auteur y écrivait ceci : « Ne parlons ni de pogrom pour le 7 octobre ni de génocide pour l’offensive en cours, mots-épouvante qui brouillent tout. »
Cette manière de renvoyer dos à dos en réputant également inappropriés les termes de « pogrom » dans un cas et de « génocide » dans l’autre mérite d’être interrogée, pour ne pas dire « déconstruite ». « Pogrom » n’est pas une catégorie juridique, mais un mot du langage courant dont le sens est le même dans tous les dictionnaires, par exemple dans le Grand Robert : « agression collective, meurtrière contre une communauté juive ». On voit mal en quoi ce mot est inapproprié pour désigner ce qui s’est passé le 7 octobre, à moins qu’on ne veuille signifier par là qu’il est très au-dessous de la vérité. En effet, les agressions meurtrières contre les communautés juives n’ont pas toujours atteint le niveau d’atrocité et de barbarie de celle perpétrée par le Hamas ce jour-là. On ne voit donc pas en quoi ce mot susciterait indûment une épouvante plus grande que la chose elle-même, et pas davantage en quoi il « brouillerait tout ».
Il n’en va pas de même du mot « génocide ». Le génocide est une catégorie juridique définie par une convention adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1948 et le statut de Rome de la Cour pénale internationale en 1998. Il consiste dans des actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Cependant, les conditions requises pour qu’on puisse parler de génocide sont à ce point exigeantes qu’à ce jour, il n’y a que trois massacres de masse pour lesquels l’appellation de génocide ne soit pas contestée : celui des Arméniens en 1915-1916, celui des Juifs entre 1941 et 1945, celui des Tutsis au Rwanda en 1994. Ni le massacre des Vendéens entre 1793 et 1796, ni l’extermination des « cosaques » pendant la « Terreur rouge » en 1919, ni l’Holodomor et ses 5 à 6 millions de morts en 1932-1933, ni l’extermination par les Khmers rouges du quart de la population cambodgienne en l’espace de quatre ans ne sont universellement considérés comme des génocides. Dans ces conditions, il serait extravagant que des bombardements qui atteignent des civils en visant des objectifs militaires, hier ceux des bombardements anglo-américains pour permettre le débarquement, aujourd’hui ceux d’Israël pour venir à bout du Hamas, puissent être qualifiés de génocides.
Les guerres n’ont jamais été des conflits opposant des soldats sur un champ de bataille dans le style : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! ». Autant qu’on puisse le savoir, elles ont toujours fait à peu près autant de victimes parmi les civils que parmi les militaires, ce qui a encore été le cas en 1914-1918. Elles tendent désormais à frapper davantage les civils : au moins 40 millions de victimes civiles pendant la Seconde Guerre mondiale pour 22 à 25 millions de soldats. Dans ces conditions, il est permis de soutenir qu’aucune guerre n’est juste, qu’aucune défense n’est légitime si elle doit se faire à un tel prix et qu’il est préférable de se soumettre à l’agresseur, par exemple en invoquant les mânes de Socrate : « Il vaut mieux subir l’injustice que la commettre ». Encore faut-il le dire clairement et en assumer les conséquences jusqu’au bout.
Les bombardements anglo-américains pendant la Seconde Guerre mondiale ont fait entre 350.000 et 500.000 victimes civiles allemandes et près de 70.000 victimes civiles françaises, hommes, femmes et enfants. Il n’y avait pas à l’époque de journal télévisé pour nous les montrer tous les soirs, mais elles n’en étaient pas moins réelles et sanguinolentes. Ces bombardements furent massifs au printemps 1944 pour retarder la progression des blindés allemands vers l’ouest et faciliter le débarquement. Le 26 avril 1944, le service français de la BBC disait : « Cette nécessité est horrible. Sans doute jamais dans l’histoire aucun allié n’a-t-il dû infliger des blessures aussi sanglantes et aussi pénibles à un autre peuple allié et ami. »
Cette nécessité n’apparaissait pas avec évidence à Philippe Henriot, le héraut de la collaboration, qui dénonçait ce carnage sur les ondes de Radio Paris, à l’instar de toute la presse vichyste. Voici ce qu’on pouvait lire dans Le Journal du midi, le 30 mai 1944, sous le titre « Les inhumaines agressions anglo-américaines sur les régions méditerranéennes » : « Des centaines de morts, des milliers de blessés, d’innombrables immeubles détruits, des hôpitaux, des cliniques, en ruines, des monuments d’art saccagés, voilà le glorieux bilan d’un raid “comme les autres”, comme ceux accomplis sur Rouen, sur Lyon, sur Orléans, au cours desquels les “objectifs militaires” atteints avaient déjà été des hôpitaux, des cliniques, des maisons d’habitation, qui, soufflées, ensevelirent sous leurs décombres des dizaines, des centaines d’innocents ».

Dans ces conditions, la sagesse et la vertu exigeaient qu’on décrétât un cessez-le-feu immédiat et que l’on recherchât une solution politique avec « Monsieur Hitler ». De la même manière, Israël devrait aujourd’hui renoncer à détruire le Hamas et négocier avec lui la question de son droit à exister ou de son devoir de disparaître.
Ce n’est pas exactement ce que nous dit notre professeur de philosophie. Il ne nous dit pas non plus qu’Israël se trouve dans une situation tragique, c’est-à-dire une situation où l’on n’a le choix qu’entre de mauvaises solutions, de sorte que, quoi que l’on choisisse, on sera coupable. Il nous dit même le contraire. Il nous dit qu’il y avait une « alternative » et qu’Israël a eu tort de ne pas la chercher « au lieu de foncer tête baissée dans le piège tendu par le Hamas », se muant ainsi en « État voyou ». Malheureusement, il ne nous dit pas, ni en français, ni en franglais, quelle est cette « alternative ». Pourquoi ? Pour quelle raison, tel Euthyphron à la fin du dialogue de Platon, refuse-t-il de nous faire partager son savoir ? Serait-ce parce que, « maître ignorant », il ne la connaîtrait pas lui-même ? Ou bien parce que, adepte des pédagogies nouvelles, il considère que l’enseignement ne consiste pas pour le professeur à transmettre son savoir, mais à amener son élève à le construire lui-même ? Toujours est-il que le professeur ne donnera pas de corrigé. Élève Israël, débrouillez-vous tout seul !
Source

Le Figaro

Agrégé des lettres classiques, André Perrin a connu une longue carrière de chef d’établissement, qui l’a conduit de Saint-Avold (Moselle) à Saint-Etienne, et pour finir au lycée Pasteur de Neuilly-sur-Seine. Il a, par ailleurs, publié des articles pédagogiques dans différentes revues spécialisées.

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2 Commentaires

  1. David dit :

     » Génocide ?  »
    Gaza aurait été rasé en deux minutes si c’ére taist le cas .
    Tsahal a toujours alerté la population etc…ainsi éviter le maximum de pertes .
    Par contre qui a tout fait pour qu’y ait un génocide en tuant et brûlant femmes vieillards et bébés ?
    Il faut arrêter de prendre les gens pour des cons .

  2. David dit :

    « si c’était le cas « .

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