Allemagne : la justice s’oppose au retrait d’un bas-relief antisémite dans la ville de Luther
La Cour fédérale allemande de Justice, plus haute instance judiciaire du pays, s’est prononcée mardi 14 juin contre le retrait du bas-relief médiéval antisémite, la «Truie des Juifs», d’une église qui fut le berceau de la réforme protestante.
Cette décision rendue par la cour de Karlsruhe (Sud-Ouest) devrait mettre un terme à une bataille judiciaire entamée il y a cinq ans autour de cette sculpture qui orne depuis 1290, à huit mètres de hauteur, l’aile sud de l’église Sainte-Marie de Wittenberg (Est). L’édifice où Martin Luther (1483-1546) prêcha pour la première fois en langue allemande est classé au patrimoine mondial de l’humanité.
Le bas-relief montre des Juifs et des porcelets tétant le lait d’une truie pendant qu’un rabbin soulève la patte et la queue de l’animal pour examiner son anus. Ce motif animalier métaphorique visait à provoquer l’aversion pour les Juifs dans cette ville où le moine Luther, dont l’antisémitisme a été abondamment documenté par les historiens, placarda ses thèses contre les indulgences de l’Église catholique en 1517, marquant la naissance de la Réforme.
Les juges de la Cour fédérale ont estimé que si l’œuvre était calomnieuse, la présence d’une plaque au pied de l’église à la mémoire des victimes de la Shoah en faisait un «mémorial» et débouté ainsi le plaignant, membre de la communauté juive d’Allemagne, qui réclamait que la sculpture soit décrochée. Cette «Truie des Juifs» exprime certes «l’hostilité et la haine envers les Juifs» et constitue «une insulte aux Juifs», selon les magistrats.
L’installation en 1988, du temps de la RDA communiste, d’une plaque en bronze rappelant le souvenir des «six millions de Juifs» exterminés par le régime nazi, l’a transformée en «un mémorial destiné à commémorer et à rappeler les siècles de discrimination et de persécution des Juifs jusqu’à la Shoah», selon eux.
Le Conseil central des Juifs d’Allemagne, principale instance de représentation de la communauté juive, a jugé à l’issue de cette décision que «l’Église devrait reconnaître clairement sa culpabilité et condamner son antijudaïsme séculaire».
La «Truie des Juifs» avait suscité une âpre polémique en 2017, année où l’Allemagne célébrait le 500e anniversaire de la Réforme, avec la circulation d’une pétition, puis d’une contre-pétition, avant que le litige n’atterrisse devant les tribunaux. Avant la décision de la Cour fédérale de Justice, le plaignant avait exprimé son intention de porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle ou la Cour européenne des droits de l’Homme, selon les médias.
Source
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/allemagne-la-justice-s-oppose-au-retrait-d-un-bas-relief-antisemite-dans-la-ville-de-luther-20220614
Judensau (littéralement en allemand : « Truie des Juifs ») est le terme utilisé pour désigner des motifs animaliers métaphoriques apparus au Moyen Âge dans l’art chrétien anti-Juifs et dans les caricatures antisémites presque exclusivement dans les pays de langue germanique. L’utilisation du thème du cochon vise à humilier, car le porc est considéré comme un animal impur (en hébreu : Tame) et interdit à la consommation selon les lois de la cacherout.
Les premières représentations de Truies des Juifs datent du XIIIe siècle, en Allemagne. On en retrouve actuellement près d’une trentaine sous forme de sculptures ou bas-reliefs dans des églises ou des bâtiments d’Europe centrale. À partir du XVe siècle, avec l’invention de l’imprimerie, apparaissent des caricatures dans des pamphlets et des livres incendiaires. Depuis le XIXe siècle, ce terme est aussi utilisé comme injure verbale contre les Juifs. Les nazis réutiliseront ce terme en le modifiant en Saujude (qui correspond littéralement en français à « cochon de Juif ») mais qui a valeur de « sale Juif » en les comparant à des porcs, pour calomnier, humilier et menacer les Juifs.
De nos jours, l’utilisation de l’expression Judensau à l’égard d’une personne ou en public est interdite et sanctionnée pénalement en Allemagne, Autriche et Suisse. En Allemagne, la peine peut même être aggravée en estimant qu’il y a eu une provocation à l’agitation populaire.
La Synagogue aveuglée, original de la cathédrale de Strasbourg, XIIIe siècle.