13 Novembre : faux repentis, brouillage… dans les entrailles des services secrets de Daech

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Dans son enquête sur « les Espions de la terreur », le journaliste Matthieu Suc révèle les rouages du contre-espionnage de l’organisation Etat islamique.
Par Mathieu Delahousse

Les tueries des terrasses parisiennes et du Bataclan du 13 novembre 2015 n’ont pas été pensées et réalisées par les seuls hommes des commandos arrivés à Paris sous les ordres d’un unique chef de groupe que serait Abdelhamid Abaaoud. C’est par le biais de ses structures et de ses hiérarchies que le journaliste de Mediapart Matthieu Suc choisit dans son livre, « les Espions de la terreur » (éditions Harper Collins) d’exposer les rouages de l’organisation Etat islamique (EI).

Prenant le contre-pied de ceux qui décrivent les criminels du 13 Novembre comme des soldats désordonnés aux calendriers incertains, il évoque « une bataille secrète qui n’a pas grand-chose à envier aux manipulations à l’œuvre durant la guerre froide ». Et s’étonne : « Les terroristes se revendiquant de l’islam sont souvent présentés, avec un brin de condescendance, comme des barbares incultes. Une bande de va-nu-pieds téléguidés depuis une grotte serait responsable du carnage du 11-Septembre. Un commando de bêtes fauves, du massacre du 13 Novembre. C’est oublier que, depuis leurs origines, les organisations terroristes ont adopté des méthodes de contre-espionnage afin de déjouer les pièges de ceux qu’elles entendaient un jour frapper. »
La première clé des attaques concertées qui ont frappé Paris serait donc là : un secret préservé sur les hommes et sur les méthodes choisies. La confiscation des passeports, la surveillance des conversations ou des fréquentations des djihadistes français arrivant sur zone a déjà été abondamment documentée dans les dossiers jugés en France.

Le livre précise qu’une note de la DGSI soulignerait que l’Etat islamique a même mis en place « une méthodologie de contrôle aux frontières digne d’une structure étatique  » : mines et barbelés entre la Syrie et la Turquie, contrôle des arrivées et plus encore des départs et interrogatoires d’identité centralisés par « l’Amni » – comprenez « sécurité » ou de façon plus complète « département de la sécurité de l’EI ».
« L’Amni », désignée aussi comme « l’Amniyat » a été fondée à automne 2014, quelques mois après la proclamation du Califat par Abou Bakr al-Baghdadi. L’idée de cette structure de renseignement aurait été imposée par Abdelnasser Benyoucef, un Algérien ayant grandi en France et qui, en Syrie, pilotait une katiba [le nom utilisé en français pour une unité ou un camp de combattants lors de différents conflits en Afrique du Nord ou dans le Sahel, NDLR] dans laquelle se trouvait déjà Abdelhamid Abaaoud…
Le commandement de cette nouvelle structure ira finalement au Belge Oussama Atar, qui sera plus tard considéré comme l’un des commanditaires principaux des attentats du 13 Novembre. A la création de l’Amni, en 2014, ses priorités sont claires : éviter l’infiltration d’agents de renseignement étranger parmi les combattants en Syrie et, pour doubler l’étanchéité, empêcher toute sortie d’information compromettante pour l’organisation Etat islamique.
A cet égard, il est vrai que l’Etat terroriste autoproclamé parvient en partie à ses fins, bouchant les yeux et les oreilles des grandes agences de renseignement occidentales privées de son et d’image. Plusieurs terroristes missionnés pour les attentats parviendront à se glisser entre les mailles du filet pour rejoindre des groupes de réfugiés en partance vers l’Europe. Et Abdelhamid Abaoud réussira à rejoindre Paris et à passer à l’action le 13 novembre 2015, alors que tout le monde le pensait encore en Syrie. Dix jours avant les attentats, une note de la DGSE écrit qu’il « se déplacerait souvent entre Deir es-Zor et la ville de Mayadin ».
La jeune et redoutable Amni a-t-elle à ce point su berner la DGSE, la DGSI, la CIA et la sûreté de l’Etat belge ? A lire trop rapidement l’enquête de Matthieu Suc, on pourrait être tenté de verser dans cette hypothèse facile, rendant l’échec des services de renseignements face au 13 Novembre encore plus cruelle. La chronologie stricte que le livre détaille éclaire pourtant une autre vérité, plus nuancée : la France n’était pas aveugle face aux préparatifs des attentats.
Demande de neutralisation urgente
En témoignent les conversations tenues lors d’un conseil restreint de défense, à l’Elysée le 4 septembre 2015, en présence du président de la République, François Hollande. A l’issue de cette réunion, la DGSE émet un message interne urgent :
« La neutralisation d’Abdelhamid Abaaoud, vecteur d’une menace avérée contre notre territoire, est devenue une priorité urgente pour le service. »
Une note du même service, trois semaines plus tard, souligne bien que se « dessinent progressivement le contour d’une branche ou entité au sein de l’Etat Islamique, dont la mission est bien de projeter en Europe des opérationnels destinés à y conduire des attentats terroristes. »
La suite est connue. Quinze jours après cette note, surviendront le vendredi 13 novembre, les attaques des terrasses, du Bataclan puis à Saint-Denis, la neutralisation d’Abdelhamid Abaoud par le Raid. L’homme portant sur les mains le sang des victimes du 13 Novembre venait de se vanter auprès de sa cousine d’avoir « réussi 10 attentats » et il en projetait d’autres, notamment dans le quartier de La Défense.
Le feu meurtrier des drones américains agissant, sur indication de l’état-major français, pour neutraliser les organisateurs des attentats aurait-il pu éviter le 13 Novembre ? Nul ne se risque à refaire l’histoire dans un tel contexte. Il est en effet établi que d’autres équipes étaient prêtes. Début 2016, deux mois après les attaques du 13, les services transmettront même l’alerte en très haut-lieu :
« Les renseignements recueillis sur la présence d’opérationnels déjà présents en Europe se multiplient et reflètent la massification des projets d’attaque. »
Sur le sol français, pour faire face, des milliers d’opérations seront menées dans le cadre judiciaire ou le plus souvent dans le cadre de l’état d’urgence. Et cette fois, le feu meurtrier des drones américains agissant sur indication de l’état-major français ne cessera plus, ni contre les commanditaires ni contre les chefs de l’Amni.

Le 17 novembre 2017, son chef, Oussama Atar, est tué lors d’une frappe de la coalition internationale en Syrie. Il est le dernier d’une liste de sept hauts cadres de l’EI impliqués dans les préparatifs et le pilotage des massacres du 13 Novembre, dressée par les services français. Benyoucef connaît le même sort, en avril 2016. Les cerveaux des attentats, sans autre forme de procès, ont payé.
L’Amni est décapitée, l’Etat islamique contraint à de lourdes défaites militaires sur le terrain, mais la menace terroriste ne s’éteint pas pour autant durant les années 2016, 2017 et encore 2018. Le livre, lui, rappelle plusieurs épisodes dignes des romans d’espionnage, notamment quand des djihadistes apparemment repentis viennent au contact des policiers français pour se livrer et donner des informations.
En février 2016, à Paris, l’un d’eux a fourni, photos à l’appui, la liste d’une vingtaine d’hommes d’une cellule dormante répartie entre l’Allemagne et un camp de réfugiés aux Pays-Bas. Les services français ont un temps envisagé de recruter l’informateur comme un repenti. Ils ne l’ont finalement pas fait, soupçonnant qu’il tentait en réalité à son tour d’infiltrer la lutte antiterroriste française. Chacun sait à quel point les espions de la terreur savent s’adapter.
Mathieu Delahousse
Source :
https://www.nouvelobs.com/societe/terrorisme/20181111.OBS5202/13-novembre-faux-repentis-brouillage-dans-les-entrailles-des-services-secrets-de-daech.html

happywheels

1 Comment

  1. jacko Lévy dit :

    TRAVAIL REMARQUABLE !!!

    j’ ai été inspiré par cette enquête et j’ai voulu faire de même a propos du coffre fort disparu de « Alexandre » Benallah, qui renfermait son arsenal

    finalement, sentant venir sa disgrace, le voyou pour se faire des espèces avait cédé ses armes au crédit municipal dit « le mont de piété », alias « ma TANTE  » – aucun rapport avec son auguste protectrice …
    devant une promesse d’ indulgence de la « justice », il a fini par les récupérer et, la suite :

     »
    Alexandre Benalla était équipé de plusieurs armes de poing et d’un fusil à pompe.
    Alexandre Benalla a remis quatre de ses armes à feu ce lundi matin au juge d’instruction, dont un fusil à pompe et trois armes de poing de marque Glock

    bon! un peu glauque, mais ils rentre a présent dans le rang, cet intello de Monsieur Alex 😆

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